Coup de gueule d’un naturaliste vis à vis de 3 pages du SCoT de Maurienne

 

 

par Guido Meeus

Naturaliste depuis 38 ans

Humanoïde émerveillé par la nature

 

 

L’information de la suspension du schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Maurienne par le juge des référé du tribunal administratif de Grenoble en date du 9 avril 2021 m’a interpelé. Qu’est-ce qu’un SCoT et qu’y a-t-il dedans ?

 

Je fais donc une recherche internet et trouve un site du gouvernement français me donnant cette définition :

 

« Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) sont des documents de planification stratégique à long terme (environ 20 ans) créés par la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) en décembre 2000, dont le périmètre et le contenu a été revu par ordonnance du 17 juin 2020, afin d’être adapté aux enjeux contemporains. » (www.cohesion-territoires.gouv.fr/le-SCoT-un-projet-strategique-partage-pour-lamenagement-dun-territoire).

 

Bien, voici un document important dans une période où les enjeux environnementaux sont fondamentaux.

 

Je recherche donc ce SCoT Maurienne, approuvé le 25 février 2020. C’est un vaste document qui apporte de multiples informations. C’est intéressant.


Je m'attache à l'état initial de l'environnement qui est un document de 331 pages particulièrement fourni sur tous les aspects. En voici le sommaire :

 

Je m’applique à regarder ce que je connais le mieux, les insectes : 3 pages soit 1% du document, mais ce n’est pas là ce qui m’interpelle.

 

Les informations données sont issues d’un Mémento du patrimoine naturel en Territoire de Maurienne du Conservatoire de Patrimoine Naturel de la Savoie (CEN73) publié en mars 2010.

 

Mais elles sont déformées, montrant une inculture évidente de tous ceux qui l’ont rédigé, relu et validé.

 

 

En voici quelques exemples.

 

Premier exemple : les papillons

 

Le sujet des insectes commence ainsi « Les espèces de papillons en Maurienne sont assez nombreux et... ». Que veut dire « sont assez nombreux » ? en nombre d’espèces ? en nombre d’individus ? C’est un texte flou qui ne veut rien dire. C’est du verbiage qui veut se donner l’impression de la connaissance !

 

Deuxième exemple : les apollons

 

Dans le mémento du CEN73, les 3 espèces d’apollons sont présentés avec leurs noms français (apollon, petit apollon et semi-apollon). Dans le SCoT, ils sont transformés en « le papillon apollon est une espèce... » avec les photos du mémento légendées ainsi « Figure 39 – Le papillon Apollon sous toutes ses formes ».

 

Si on applique ce principe aux bovidés sauvages (chamois et bouquetin), on devrait parler de la même espèce ! Vous trouvez cela absurde ? Vous avez raison, tout comme mettre les 3 espèces d’apollons dans la même espèce !

 

Troisième exemple : la suite des papillons

On nous présente des espèces remarquables du territoire, comme le damier rouge (Euphydryas intermedia) qui « n’est présent quasiment qu’en Savoie ».

 

 

 

Le site de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) nous présente la carte validée par un spécialiste du Muséum National d’Histoire Naturel .

 

 

 

Bigre, la Savoie s’est agrandie !

 


De plus, un texte de nouveau globalisant et flou poursuit l’information sur ce papillon « qui est en ubac alors que la plupart des espèces préfèrent les adrets ».  

 

Je demande à voir où ont été faites les observations de cette espèce en lien avec les termes d’adret et d’ubac qui désignent des versants exposés au sud ou au nord. Et si le papillon est vu sur une pente exposé ouest ???

 

Quant aux autres espèces qui préfèrent les adrets, mon expérience de presque 30 ans d’intérêt pour les papillons ne m’a rien confirmé en la matière.

 

Quatrième exemple : le discours « fumeux »

 

Voici ce texte qui exprime le lieu commun sans référence, et qui, en fait, ne veut rien dire : « Il existe des espèces d’insectes très courantes et communes que l’on peut apercevoir sans difficulté ».

 

Si j’adapte cette façon d’écrire à l’urbanisme je peux écrire, dans la même verve « Dans les villes, il y a des rues que l’on peut parcourir ».

 

Cinquième et dernier exemple : l’espèce exceptionnelle, la Leptophye Sarmate

 

Voici enfin l’espèce exceptionnelle, la leptophye sarmate (En français les adjectifs ne prennent pas de majuscule !) reprise du Mémento du CEN73.

Bigre, je me lance dans des recherches dans des sites de références, l’INPN déjà cité et Biodivanoise géré par le Parc national de la Vanoise... Aucune référence à cette découverte !

 

C’est dans le bulletin n°10 de Saga (juin 2010), le bulletin de l’association Miramella qui précise que c’est une espèce qui a été vue, apparemment exceptionnellement au Mont-Cenis, lieu de passage entre l’Italie et la France.

 

C’est un épiphénomène comme il y en a beaucoup et qui a relativement peu d'intérêt.

 

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Saga n°10 (juin 2010), le bulletin de l’association Miramella
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Et puis ? Rien, c’est fini ;

 

Il n’y a rien d’autre dans ces quelque pages dédiées aux insectes qui montrent la méconnaissance totale de ce sujet des gens qui ont rédigé, relu et surtout validé un tel texte.

 

Ils ont repris bêtement un mémento fortement incomplet et qui a cherché à faire de la ‘com’ avec « l’espèce exceptionnelle » !

 

 Puisque nous y sommes, allons jusqu’au bout : qu’ai-je, moi, naturaliste, habitant en Maurienne depuis 20 ans, de sérieux à ajouter en complément à cette pitoyable présentation des insectes ?

Simple amateur d’entomologie, je ne peux apporter que quelques ajouts venant d’ouvrages que j’ai dans ma bibliothèque et je n’ai pas l’objectif de l’exhaustivité, mais...

 

Premières espèces : les carabes (coléoptères)

 

Coléoptères de Rhône-Alpes, Carabiques et cicindèles, Museum d’Histoire Naturelle de Lyon et Société linnéenne de Lyon, 2001

 

 

Cet ouvrage est une cartographie des espèces de coléoptères en Rhône-Alpes. Je ne prends que quelques exemples :

 

  • Planche 8 n°22 Carabus germari  (Et oui, désolé mais de nombreuses espèces n’ont pas de nom commun !) : présence uniquement en Haute-Maurienne de Lanslebourg (Val-Cenis) à Bessans. Le site de l’INPN le signale dans les Alpes Maritimes et en Savoie.
  • Planche 10 n°28 Carabus fairmairei ssp cenisius: présence uniquement en Haute-Maurienne de Lanslebourg (Val-Cenis) à Bonneval-sur-Arc pour la Maurienne et Val d’Isère.
  • Planche 13 n°38 Cychrus grajus Bessans et Val d’Isère. Cette espèce est considérée par l’INPN comme subendémique et présente qu’en Savoie (Val d’Isère et Bonneval-sur-Arc).

 

Je pourrai en trouver encore bien d’autres dans cet ouvrage et ses suivants.

 


 

Espèces suivantes : les hémiptères

 

Et plus particulièrement les punaises pentatomoïdes.

 

 

J’étais encore en activité comme technicien au Parc national de la Vanoise quand j’ai photographié une belle punaise rouge et noire.

 

Ayant ensuite, en tant que bénévole de La Dauphinelle, trouvé un ouvrage spécialisé et fait des recherches, je me suis rendu compte que je venais de faire la 3e observation  d’Eurydema rotundicollis en Savoie.

 

Cette espèce n’est présente en Savoie, qu’en Maurienne ! L’information est dans la base de données du Parc national et dans celle de l’Observatoire de la Biodiversité de la Savoie gérée par le CEN73.

 

Depuis, dans le cadre du projet de l'Inventaire de la Biodiversité de la Maurienne de La Dauphinelle, j'ai retrouvé la station de Valloire vue en 1994.

Les deux photos situées à côté présentent les immatures à deux stades de développement différents.

 

Connaitre et conserver ne sont pas obligatoirement synonymes de protection. Mais qui connait ces espèces ?

 


 

 

Une espèce présente en France qu’en Maurienne !!! : Iberodorcadion arenarium

 

Continuant mes explorations entomologiques pendant ma retraite, je fais un stage à l’Office Pour les Insectes et leur Environnement (OPIE) sur les coléoptères en septembre 2020. Je souhaitais vérifier mes connaissances et vérifier mes observations, entre autres sur les « longicornes » la famille des Cérambycidés (Bilan de La Dauphinelle à venir).

 

 

Sachez qu’il existe une espèce qui, en France ne se trouve qu’en Maurienne. Elle a été signalée dans les ouvrages de Planet en 1924, Picard 1928, Hoffmann 1978 et Berger 2012, de La Chambre à Saint Michel de Maurienne.

 

 

Consultant le site de l’INPN, je m’aperçois qu’elle a été observée en 2014 et son auteur m’a confirmé sa présence en Haute-Maurienne à 1300m d’altitude (communication personnelle).

 

 

En poursuivant mes recherches, je me rends compte que l’observation faite à La Chambre date du XIXe siècle et que l’INPN n’a qu’une vingtaine d’observations de cet insecte.

 

Les auteurs anciens (Planet et Picard, 1924 et 1928) la situait le long de l’Arc entre Saint Julien et Saint Michel. Elle est connue actuellement à La Tour en Maurienne...

 

 

Il me semble que, bien que n’étant en Maurienne que depuis la fin du dernier millénaire, soit 2000 (car tout millier ne s’est jamais arrêter à 999), la vallée s’est profondément transformée depuis 1924.

 

 

 

Voilà un élément primordial du Patrimoine Naturel de la Maurienne !

 

Pourquoi ces espèces ne sont pas présentées dans le SCoT Maurienne ?

 

 

Mon explication est peut-être erronée ou incomplète, mais je constate :

 

-       la présence de nombreux organismes (CEN73, Parc national de la Vanoise, DDT, DREAL) qui devraient œuvrer à la connaissance de la nature. Or, tout un pan de la vie sur Terre (les coléoptères ne représentant que 25% des espèces animales ; excusez du peu !) n’est pas connu en Maurienne (pour ne parler que de cette vallée). Ont-ils les compétences adéquates, les spécialistes suffisants pour faire connaitre la nature ? Ne sont-ils pas coincés dans des limites aberrantes et affligeantes ?

 

-       la recopie « bête et méchante (surtout bête) » d’un document incomplet (le Mémento du CEN73) par des incompétents dans le SCoT (Je ne parle que des pages sur les insectes, ne m’estimant pas compétent pour émettre un point de vue sur le reste du document).

 

-       l’incohérence de l’Etat qui protège la bruyère carnée (Erica carnea) présente en Maurienne (mais aussi ailleurs en France) mais qui ne protège pas un coléoptère vivant en France qu’en Maurienne. Ah, certes, il est bien plus difficile à voir qu’un vieux mâle de bouquetin !

 

-       l’incohérence de tous ces organismes (parc national, CEN73, Muséums ; INPN) qui n’ont pas la capacité de travailler ensemble pour la connaissance des territoires pour les territoires. Il parait qu’en en créant un supplémentaire qui a déjà changé de nom en 3 ans d’existence (OFB ex AFB), cela va s’améliorer ! (rires !)

 

-       l’incapacité des élus à prendre en compte culturellement la nature comme étant aussi importante que l’économie humaine. Comme m’a dit un futur maire avant les dernière élections municipales « Tant que les papillons ne volent pas... (en clair, j’en ai rien à faire !) »... Avec çà, on n’est pas sorti de l’auberge (fermée d’ailleurs pour cause de covid).

 

-       la capacité des élus à faire ce qu’ils reprochent à l’Etat : travailler dans leur coin sans aller chercher l’information là où elle pourrait être utile à connaitre. En effet, sans me lancer de fleurs (je ne suis que botaniste amateur), depuis 8 ans que l’inventaire des papillons de Maurienne et de la Vallée de Suse a débuté, j’ai fait savoir que, pour les « papillons de jour », la Maurienne n’a que les 2/3 des espèces françaises (173 sur 259). Cela aurait pu être intéressant de le noter. Les élus ne doivent pas me connaitre suffisamment ! (rires)

 

 Tant que nous, humains, nous n’aurons pas compris qu’il faut changer d’attitude vis à vis de la nature, d’arrêter de se considérer comme les représentants de Dieu sur Terre et de penser uniquement à notre égo (notre civilisation, notre économie, notre propriété privée, etc.), nous continuerons à produire des documents bureaucratiques qui nous donnerons tous les pouvoirs sur la nature... en la détruisant.

 

Il nous faut vraiment changer de paradigme vis à vis de la nature, y compris humaine et arrêter de penser à la cigale et à la fourmi. La culture (au sens large, tout comme la culture naturaliste) est indispensable à la vie  et à notre place sur Terre et probablement plus que tous les camions d'Amazon que je vois passer tous les jours sur l’autoroute au-dessus de chez moi.

 

Continuons à détruire la planète, tout comme nos vallées alpines, sauf si un tout petit Covid, tout à fait naturel, nous contraint à nous rappeler que nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres !

 

Fin du coup de gueule (à prendre avec humour, même s’il est très sérieux).

 

 

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Coup de gueule d’un naturaliste vis à vis de 3 pages du SCoT de Maurienne
Voici le texte de ce coup de gueule pour ceux qui veulent en garder une trace. Pour voir les photos, il faut revenir sur le site.
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